Pour tout voyage dans le Kurdistan iraquien, une visite de Lalish est une étape incontournable. Il s’agit du centre spirituel des Yézédis, minorité religieuse qui a connu d’innombrables persécutions au cours de son histoire puisqu’ils auraient subi pas moins de 70 génocides. Le plus récent remonte à 2017 lorsque Daech a tué plus de 5.000 personnes, principalement des femmes et des enfants. Nous nous y sommes rendus un vendredi, jour sacré, au cours duquel l’endroit grouille d’animation.
Le trajet en taxi depuis Dohuk aura duré 40 minutes environ. A peine descendus de notre véhicule, un groupe de 4 jeunes hommes nous aborde. L’un d’eux parle couramment anglais et nous demande si nous voulons déjeuner avec eux et leur famille, après quoi ils nous proposent de nous montrer les lieux. On nous avait prévenu que ce type de démarche était une chose courante, nous acceptons avec enthousiasme.
Nous suivons donc nos hôtes vers le « village ». Mais avant d’y pénétrer, on nous indique que nous devons enlever nos chaussures. Celles-ci sont en effet interdites. Nous continuons donc en chaussettes.
Nous traversons quelques ruelles pavées et apercevons rapidement les toits coniques caractéristiques du lieu, puis arrivons à une petite cour couverte où un tapis couleur bordeaux a été déroulé. On nous invite à prendre place aux côtés d’une dizaine de membres de leur famille, tous masculins, les femmes étant occupées à préparer le déjeuner.
Faisal est le seul à parler anglais. Il travaille pour une ONG en charge de la gestion des réfugiés à Sinjur, ville située à l’extrême nord de l’Irak mais en dehors du Kurdistan. C’est l’occasion d’en apprendre davantage sur cette religion et cette communauté peu connues. En 2014, ils étaient encore 650.000 à vivre dans le nord irakien, mais de nombreux ont fuit l’arrivée de Daech et se sont réfugiés en Turquie, en Europe, aux USA ou dans les pays de l’ex URSS. Faisal aussi a vécu 5 ans en exil. Il a décidé de retourner dans sa ville natale de Sinjar, même si la situation y reste difficile, notamment en raison des attaques de l’armée turque. Certains de ses proches vivent toujours dans des camps de réfugiés dans des conditions difficiles.
Le yézédisme est une religion monothéiste qui remonterait au 3ème siècle av. JC. Ils croient en un seul Dieu qui représente le principe du Bien et du Mal. Certains chrétiens et musulmans accusent les Yézédis d’être des adorateurs du diable, ce qui est la source de leur persécution (pour ceux qui souhaitent approfondir le sujet : https://www.cairn.info/revue-confluences-mediterranee-2018-2-page-131.htm).
Après une heure, le repas est servi. Nous voulons contribuer avec les quelques galettes de pain et bananes que nous avions apportés pour notre déjeuner, mais comprenons vite qu’ils ne feront pas le poids face au « picnic » prévu par nos hôtes. En quelques instants, des quantités gargantuesques de riz, poulet grillé, ragout de mouton et crudités recouvrent le tapis. Nous commençons comprendre le dicton selon lequel « le plus grand danger au Kurdistan est la sur-alimentation »… Les femmes mangeront à part, par manque de place.
Le repas terminé, Faisal et sa famille nous invitent à visiter le village. L’endroit est rempli de croyants, le vendredi étant le jour sacré. Très vite, nous avons l’impression de ne pas être habillés de façon appropriée, tant tout le monde autour de nous sont vêtu de façon élégante, beaucoup en habits traditionnels.
Certains viennent de la région et sont ici régulièrement, d’autres sont ici pour un baptême, et d’autres encore viennent même des quatre coins de la planète. Chaque Yézédi doit en principe venir une fois dans sa vie en pèlerinage à Lalish. Une petite fille d’environ 8 ans nous abordera spontanément en anglais pour nous expliquer qu’elle est ici pour la première fois. Elle vit en Australie. Un peu plus tard, un homme d’une trentaine d’années qui nous a entendu parler allemand nous approchera dans cette langue. Il vit en Allemagne depuis 10 ans est venu aujourd’hui à Lalish pour le baptême de son fils.
Il s’agit d’ailleurs d’une religion très fermée. On ne peut devenir Yézédi, on l’est si ses parents le sont. Les mariages en dehors de la communauté sont interdits. Celui ou celle qui épouse une personne d’une autre religion est immédiatement excommuniée.
Tout à coup, une agitation se forme non loin de nous. Un homme à la longue barbe noir avance, entrainant une foule dans son sillage. Cet homme, c’est le Baba-Shayk, le chef spirituel des Yézédis et unique habitant de Lalish. De nombreux croyants s’approchent pour lui baiser la main, mais il est aussi très disponible pour les séances photos, y compris avec les enfants et les touristes.
De nombreux temples sont parsemés partout dans le village. On nous explique qu’il faut enjamber le pas de la porte et ne surtout pas marcher dessus. Nous voulons donc suivre Faisal dans un des temples mais le gardien nous fait comprendre que nous ne pourrons pas aller plus loin. Seuls les Yézédis ont le droit d’entrée.
La dévotion des Yézédis impressionne. Partout autour de nous, hommes et femmes font la file pour pénétrer dans les temples et embrassent les objets sacrés. Nous tentons, de façon discrète et respectueuse, d’immortaliser ces moments. Nous sommes aussi régulièrement interpellés pour poser pour les photos avec les locaux.
Vers 17h, nous devons avec regrets mettre fin à notre visite pour prendre le chemin du retour. Faute de taxi, nous rentrerons en stop et voulons arriver avant le coucher de soleil. La chaleur de l’accueil et la bonne humeur des Yézédis nous auraient presque fait oublier les atrocités subies par leur communauté il y quelques années à peine.