Une journée en stop dans l’hospitalité kurde
Après quelques journées passée à Duhok, troisième ville du Kurdistan iraquien, nous commençons un périple dans les régions montagneuses de l'Est. Vu la quasi-absence de transports en commun, on sera amenés à se déplacer en stop pour certaines parties du trajet. Petit aperçu du sens de l'accueil version kurde.
Dimanche matin, nous sommes à Amedi, village perché dans les montagnes où nous avons passé la nuit. Aujourd'hui, nous voulons rejoindre Soran, à 140 km de là. Il n'y a ni bus, ni taxi, nous ferons donc du stop. La route traverse une succession de petites villes et villages et nous sommes prévenus qu'il nous faudra trouver plusieurs véhicules pour arriver à destination. Nous avons donc prévu toute la journée pour le trajet.
À peine sortis de notre hôtel, un homme d'une septantaine d'années nous aborde. Il a séjourné dans la chambre adjacente à la nôtre. Il vit à Bassra, à l'extrême sud de l'Irak. Chimiste à la retraite, il profite de son temps libre pour voyager, en Irak et dans le monde. Lorsque nous lui expliquons que nous nous rendrons à Basra dans une à deux semaines, il insiste pour que nous logions chez lui. On échange nos numéros et nous promettons de rester en contact. L'ami avec lequel il voyage vient de Soulé, deuxième ville du Kurdistan. Lui aussi nous donne son numéro. Ils nous proposent de les accompagner vers leur prochaine étape, mais elle se situe dans la direction opposée à la nôtre. Nous déclinons avec regret et nos chemins se séparent ici pour le moment.
Nous attendrons une dizaine de minutes pour que notre première voiture s'arrête. Ce ne sera que pour quelques centaines de mètres jusqu'au prochain carrefour, mais c'est toujours cela de pris.
Encore 10 minutes plus tard, on monte dans notre second véhicule de la journée. Le chauffeur se rend à Deraluk, à une quinzaine de kilomètres de là. En chemin, il s'arrête pour acheter une boisson et nous demande si nous en voulons. Naïvement, nous répondons "non merci", une expression dont les Kurdes semblent invariablement ignorer la signification. Notre chauffeur revient donc avec trois Red Bulls et nous sommes repartis. Ne parlant pas anglais, il appelle son frère aux Pays-Bas avec qui on discute en néerlandais et qui se charge de la traduction avec le conducteur.
Celui-ci nous dépose à la sortie du village où nous ressortons immédiatement notre pouce. Notre prochaine voiture s'arrête peu de temps après. Elle est conduite par un homme d'une septantaine d'années vêtu d'habits traditionnels kurdes. Il ne parle pas anglais et la communication est difficile. Nous lui expliquons que nous souhaitons nous rendre à Barzan, prochaine ville d'importance sur notre route. On ne parvient pas à comprendre jusqu'où il va mais comme il semble aller dans la bonne direction, on monte à bord. 20 km plus loin nous devons nous arrêter à un check point pour faire contrôler nos passeports. L'officier parle anglais et nous aide dans la communication avec notre chauffeur. Il s'avère que celui-ci s'apprête à nous amener à Barzan alors qu'il a déjà dépassé sa destination depuis plusieurs kilomètres. Nous le remercions et lui expliquons que nous recherchons un autre véhicule pour poursuivre notre route. Nos tentatives pour le dédommager pour le trajet seront veines.
À peine sortis du check point, une berline de location s'arrête devant nous. À son bord, un jeune couple parlant parfaitement l'anglais nous propose de nous amener jusqu'à Barzan. Ils s'appellent Zhirkar et Baran et nous apprenons qu'ils se sont mariés il y a 4 jours à peine. Ils sont actuellement en voyage de noces à travers le Kurdistan. Nous remarquons alors le bouquet de mariée sous la vitre arrière. À Barzan, ils nous accompagnent pour visiter le mémorial à Barzani, héros du mouvement kurde en Irak. Nous sommes le 5 mars, date qui s'avère être la "journée du soulèvement" célébrant la rébellion kurde contre Saddam en 91. Pour l’occasion, la place est bondée de visiteurs, de peshmergas et de caméras TV. Avant que l'on comprenne ce qui nous arrive, nous sommes invités à poser pour des photos au milieu de personnalités dont on ignore encore l'identité. L'un d'eux vient de Soulé. "Quand vous y passerez, appelez-moi." Echange de numéros. On parvient enfin à s'éclipser et à rejoindre Zhirko et Baran qui nous attendent et qui avaient sans doute d'autres projets pour leur voyage de noces. Ils nous déposent quelques kilomètres plus loin dans le village de Bla. Nouvel échange de numéros, on promet de les appeler quand nous serons à Soulé, mais réalisons que c'est déjà la troisième personne de cette ville à qui nous avons tenu cette promesse.
Nous nous arrêtons à un snack et commandons un thé, principalement pour utiliser les WC des lieux. Le sympathique propriétaire engage la conversation avec ses quelques mots d'anglais. Au moment de partir, celui-ci refuse de nous laisser payer. On dépose 1000 dinars sur la table et tentons de nous éclipser, mais alors que nous prenons notre sac, il nous pousse le billet au fond de poche. On continue un bout de route à pied avant de s'installer sur des marches pour manger un peu de pain acheté le matin. Nous n'avons pas encore fini que le propriétaire d'un autre snack situé 50 m plus loin vient nous offrir deux gobelets de thé. Nous avons à peine le temps de le remercier qu'il tourne les talons et retourne travailler.
Le thé avalé, on attend notre prochaine voiture. C'est cette fois un pick-up Nissan blanc qui s'arrête, avec à son bord deux peshmergas hors-service. Dans l'habitacle, on troque le bouquet de mariée contre la mitraillette. La communication est limitée et le chauffeur appelle par WhatsApp son frère qui vit en Suisse et parle allemand. Il se charge de la traduction. Le chauffeur, prénommé Sherldan, demande si on a faim, dans quel cas il propose de nous inviter à déjeuner. Nous le remercions mais répondons que nous venons de manger. Il nous croit. Ouf... Peu de temps après il s'arrête devant un magasin et demande si on souhaite boire quelque chose. "Non merci". Apprenant de nos erreurs, on lui emboite le pas, fermement décidé à prendre les devants. Mais à peine avons-nous attrapé 4 canettes dans le réfrigérateur que Sherldan s'est déjà chargé de payer nos achats, ajoutant deux boîtes de biscuits au passage. Raté. Il repousse avec fermeté le billet que lon tente d'adresser au caissier. L'amabilité kurde a invisiblement ses limites bien à elle. Sur ce pathétique échec, on retourne vers la voiture, les bras remplis de choses dont on n'avait nul besoin. En route, on propose à nos amis quelques biscuits qu'ils ont eux-mêmes payés. Ils s'en partagent un pour deux avec un "thank you". Au Kurdistan il faut pouvoir se contenter des petites victoires...
Nous nous arrêterons pour quelques photos, car on en viendrait presque à oublier la beauté des paysages montagneux qui nous accompagnent depuis le matin.
Vers 17h, nous arrivons à Soran où nous séjournerons chez Ali que nous avons rencontré sur Couchsurfing. En tout, cela nous aura pris près de 6h et 5 voitures différentes pour effectuer le trajet pour ce qui, au final, n’aura été qu’une journée comme une autre dans l’hospitalité kurde.